La dignité de la vie humaine avant la naissance dans le Nouveau Testament
“Et ici, je vous demande, au nom de ces petits… car ce fut un enfant à naître qui reconnut la présence de Jésus lorsque Marie vint rendre visite à Elisabeth, sa cousine. Comme nous pouvons le lire dans l’Evangile, à l’instant où Marie pénétra dans la maison, le petit qui était alors dans le ventre de sa mère tressaillit de joie en reconnaissant le Prince de la Paix.”
Mère Térésa, Oslo, 1979
Dieu fait chair : la nouveauté radicale du christiannisme
Le Nouveau Testament ne contient pas, lui non plus, de condamnation explicite de l’avortement. Mais, comme pour l’Ancien Testament, la conviction que toute vie humaine est sacrée dès sa conception traverse ses pages de manière profonde.
La nouveauté ici est que cette dignité reçoit son plein accomplissement en la personne de Jésus-Christ, « le Verbe fait chair » (Jn 1,14). L’Incarnation jette un regard nouveau et indépassable pour le chrétien : Dieu fait homme passe par toutes les étapes de développement de la vie humaine : zygote, embryon, foetus, bébé… Dans la lumière de l’Incarnation, la vie humaine n’est plus seulement une création bénie de Dieu : elle devient le lieu même de sa présence. En assumant notre humanité « depuis le sein d’une femme » (Ga 4,4), Dieu sanctifie toutes les étapes de l’existence, y compris la plus fragile : celle de l’enfant à naître.
I. En s’incarnant, Dieu sanctifie la vie dès son commencement
Dans la foi chrétienne, tout commence par un retournement magistral : le Dieu infini, créateur du ciel et de la terre, choisi d’entrer dans l’histoire humaine non pas sous les traits d’un roi tout-puissant, ni même d’un adulte accompli, mais sous la forme d’un embryon.
C’est là un point décisif et trop souvent oublié : le mystère de l’Incarnation ne commence pas à Bethléem, dans la crèche, mais à Nazareth, au moment même de l’Annonciation, dans ce « oui » de Marie qui rend possible l’accueil du Verbe éternel dans la chair humaine.
1. L’Incarnation : Dieu assume la condition humaine dès la conception
Lorsque l’ange Gabriel s’adresse à Marie — « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi celui qui va naître sera saint, il sera appelé Fils de Dieu. » (Lc 1,35, AELF ) — il ne parle pas d’un événement lointain. En effet, dès l’instant où Marie prononce son fiat : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole » (Lc 1,38), le Verbe éternel s’incarne en elle. Dieu se fait homme au moment précis où commence une vie humaine.
Ce fait est bouleversant pour notre conception de l’existence humaine. Il signifie que la vie, dès son commencement, est digne d’être habitée par Dieu. Elle n’a pas besoin d’avoir grandi, de s’être développée ou d’être devenue consciente pour recevoir la présence divine : Dieu la sanctifie dans sa plus grande fragilité, dans sa plus petite forme.
Saint Jean résume cela ainsi : « Le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous » (Jn 1,14). Il ne s’est pas fait “adulte”, ni même “nouveau-né” : il s’est fait chair humaine, telle qu’elle surgit dès la conception dans le sein de Marie. C’est là que s’opère le miracle de l’amour divin.
Ainsi, l’Incarnation ne nous révèle pas seulement que Dieu aime l’humanité ; elle nous révèle jusqu’où va cet amour : jusqu’au plus petit commencement, jusqu’à ce premier instant où la vie humaine est encore invisible aux yeux humains.
2. La Visitation : la vie avant la naissance est déjà habitée par l’Esprit
Ce mystère trouve un signe puissamment évocateur dans l’épisode de la Visitation. Marie, portant en elle le Christ tout juste conçu, se rend chez sa cousine Élisabeth, enceinte de Jean-Baptiste. Et voici ce que rapporte l’évangile :
« Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint » (Lc 1,41,
AELF
).
Jean, encore dans le sein maternel, réagit à la présence du Messie. L’enfant « reconnaît » le Sauveur avant même de voir la lumière du jour. Cet épisode n’est pas un détail pittoresque : il révèle une vérité profonde. La vie avant la naissance est déjà capable de relation, déjà touchée par l’Esprit, déjà insérée dans l’histoire du salut.
Ce que l’Église a médité pendant des siècles, c’est que l’être humain n’a pas à “attendre” la naissance pour entrer en alliance avec Dieu. Même dans le silence du sein maternel, Dieu agit, appelle, sanctifie.
3. Nommé et appelé avant la naissance
Dans les récits évangéliques, Dieu ne se contente pas d’appeler les enfants après leur naissance : il les nomme et les envoie avant même qu’ils ne voient le jour.
L’ange annonce à Zacharie : « Ta femme Élisabeth mettra au monde pour toi un fils, et tu lui donneras le nom de Jean. » (Lc 1,13,
AELF
).
Il dit à Joseph : « « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, puisque l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve), car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » (Mt 1,21,
AELF
).
Dans la Bible, donner un nom, c’est reconnaître l’identité unique d’une personne et sa vocation. Ainsi, avant même d’exister pleinement aux yeux des hommes, l’enfant est connu, nommé, aimé et envoyé par Dieu.
L’apôtre Paul lui-même, relisant sa propre existence à la lumière de la foi, affirme dans l’épître aux Galates : « Mais Dieu m’avait mis à part dès le sein de ma mère ; dans sa grâce, il m’a appelé ; et il a trouvé bon de révéler en moi son Fils, pour que je l’annonce parmi les nations païennes. » (Ga 1, 15). Même pour celui qui deviendra l’apôtre des nations, l’appel de Dieu ne date pas de sa conversion à l’âge adulte, mais remonte au sein maternel. Cela suggère que pour tout chrétien, l’identité profonde ne se construit pas seulement par nos choix sociaux ou professionnels, mais s’enracine dans une volonté d’amour de Dieu qui précède notre naissance. Nous sommes voulus avant d’être nés. L’exemple de Saint Paul est d’autant plus marquant qu’il a persécuté les chrétiens et pourtant, Dieu a maintenu envers lui son appel. Comme nous tous, malgré nos pauvretés, Dieu est Dieu est fidèle à ses promesses : il ne reprend jamais le don de la vie, ni l’amour qu’il nous porte, car « les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance » (Rm 11, 29).
II. Le regard du Christ sur les plus petits : la fragilité au cœur du Royaume
L’Évangile ne parle jamais directement de l’embryon ou de la vie avant la naissance. Pourtant, le regard que Jésus porte sur les personnes fragiles, vulnérables ou socialement insignifiantes révèle une logique constante : dans le Royaume de Dieu, la valeur d’une personne ne dépend ni de sa taille, ni de ses capacités, ni de son utilité.
Cette perspective permet de comprendre pourquoi la foi chrétienne affirme que la vie humaine mérite respect dès ses tout premiers instants.
1. Accueillir les plus petits, c’est accueillir Dieu lui-même
Dans les évangiles, Jésus renverse les critères de valeur humaine. Au lieu d’associer l’importance à la puissance, à la richesse ou à la maturité, il place les plus petits au centre de son enseignement.
Ainsi, Marc rapporte :
« Prenant alors un enfant, il le plaça au milieu d’eux, l’embrassa, et leur dit :
« Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé. » » (Mc 9,36-37, AELF )
Dans une société où l’enfant n’avait pratiquement aucun statut, Jésus l’élève comme modèle et le relie à sa propre présence. Accueillir un enfant, c’est accueillir Dieu lui-même. Cette affirmation a une portée éthique immense : elle signifie que la dignité d’une personne ne dépend d’aucune condition extérieure. Si un enfant, dépourvu de parole ou de force, peut être un lieu de rencontre avec Dieu, il en va de même pour toute vie humaine, même encore cachée dans le sein maternel.
2. La valeur du plus fragile : Dieu connaît ce qui nous échappe
Jésus insiste aussi sur l’attention de Dieu aux réalités les plus infimes.
« Deux moineaux ne sont-ils pas vendus pour un sou ? Or, pas un seul ne tombe à terre sans que votre Père le veuille. Quant à vous, même les cheveux de votre tête sont tous comptés. Soyez donc sans crainte : vous valez bien plus qu’une multitude de moineaux. » (Mt 10,29-30,
AELF
)
Ces paroles rappellent que rien n’échappe à la sollicitude divine, pas même ce qui paraît négligeable. Dans cette logique, une vie humaine encore invisible n’est jamais insignifiante pour Dieu. Ce qui est petit et caché a du prix, précisément parce que Dieu le connaît, le veut et le soutient.
Conclusion :
Si l’Ancien Testament nous enseignait que la vie est un don sacré à protéger (le commandement « Tu ne tueras pas »), le Nouveau Testament nous fait faire un pas de plus. Il ne s’agit plus seulement de respecter une loi, mais de reconnaître une présence.
À travers l’Incarnation, Jésus a uni sa propre vie à celle de tout être humain, et particulièrement à celle de l’enfant à naître qu’il a été lui-même. Dès lors, respecter la vie dès la conception n’est pas une simple opinion morale, c’est un acte de foi et d’amour envers le Créateur qui s’est fait petit pour nous rejoindre. Comme le dira plus tard Jésus :
« Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Mt 25,40)