L'embryon reçoit-il une âme spirituelle dès la conception ? Quand la génétique vient au secours de la théologie
Tous les débats bioéthiques tiennent dans une seule question : l’embryon est-il une personne humaine ou une chose ? Et cette question peut être abordé à des niveaux différents :
- Scientifique : est-ce que l’embryon appartient à l’espèce humaine ?
- Juridique : est-ce que l’embryon a un statut juridique ? Si oui, lequel ?
- Philosophique : l’embryon est-il une personne ?
- Théologique/spirituel : l’embryon est-il doté d’une âme spirituelle ?
C’est ce dernier niveau que nous allons aborder. Pour la raison et la science, la question est de savoir si l’embryon est un individu biologique distinct. Pour la foi, la question est de savoir s’il est habité par un principe spirituel immortel que l’on appelle l’âme. Mais les deux chemins peuvent conduire à la même conclusion : le respect inconditionnel de la vie. Si l’on considère que l’embryon n’est qu’un amas de cellules en attente d’humanité, tout devient permis. Mais si, comme la science l’indique et comme l’Église le croit, l’embryon est un être humain à part entière dès le début, alors le respect de sa vie doit être absolu. La question théologique peut être formulée de la sorte : à quel moment devenons-nous un être humain créé à l’image de Dieu et par là revêtu d’une dignité inaliénable ? Dans cette enquête, nous allons voir que la génétique moderne vient aider à trancher un vieux débat théologique et confirmer l’intuition des premiers chrétiens.
L’origine historique du débat : le péché originel
Cette question est apparue quand des Pères de l’Eglise se sont demandé comment se transmettait le péché originel. Certains d’entre eux supposaient alors que le corps, mais également l’âme, étaient transmis par les parents.
Cette théorie n’a pas plu à tout le monde et pour repousser cette thèse, des théologiens affirmèrent, et l’Eglise à leur suite, que l’âme n’est pas transmise par les parents mais créée directement par Dieu. C’est ce que l’on appelle le créationnisme de l’âme.
D’un côté il y a le corps physique qui est transmis naturellement par nos parents à travers la fécondation, et de l’autre, l’âme spirituelle qui est infusée directement par Dieu dans le corps, lui conférant par là une dignité qui distingue la personne humaine de tous les autres êtres vivants.
Mais cela posait une nouvelle question : quand Dieu crée-t-il cette âme pour l’unir au corps ? Au moment exact de la fécondation ou bien plus tard ? Tous les théologiens n’étaient pas d’accord sur le sujet. C’est ici que Saint Thomas d’Aquin, influencé par la biologie de son temps, proposa la théorie de l’animation retardée (ou médiate).
La fausse piste de Saint Thomas d’Aquin
Pour ce géant de la théologie, tributaire de la biologie limitée de son époque, il semblait impossible que l’âme soit présente dès la fécondation. Il soutenait la théorie de l’animation retardée : l’âme rationnelle ne serait insufflée par Dieu que vers le 40ème jour.
Pour comprendre sa logique, il faut saisir sa vision philosophique héritée d’Aristote : l’âme est faite pour “habiter” et “gouverner” le corps. Or, Saint Thomas pensait que l’embryon des premiers jours n’était qu’une matière informe, en friche. De même qu’on n’installe pas un habitant dans une maison qui n’a ni murs ni toit, il pensait que Dieu attendait que le corps soit suffisamment organisé et formé pour y infuser une âme spirituelle. C’était une erreur biologique, mais la logique philosophique semblait cohérente.
La réponse des Pères de l’Eglise : l’âme et le corps sont inséparables
A l’inverse de Saint Thomas, un certain nombre de Pères de l’Eglise affirmèrent que l’animation intervient dès les premiers instants de la fécondation.
Maxime le Confesseur a notamment affirmé qu’il est impossible que l’âme et le corps, en tant que parties de l’homme, existent chronologiquement l’un avant l’autre ou l’un après l’autre, car alors le logos (la raison d’être) de l’homme, serait détruit. Pour lui, et l’Eglise à sa suite, l’âme n’a pas d’existence indépendamment du corps et inversement.
Il affirma aussi que “l’âme vient à l’existence indiciblement à partir de l’insufflation divine et vitale, et le corps à partir de la matière qui lui sert de support fournie par celui dont il procède, en même temps que l’âme, au moment de la conception du corps.”
Il y a donc une origine distincte et simultanée de l’âme et du corps. “La genèse de l’âme se fait par la volonté de Dieu, par l’insufflation vitale, de façon indicible et inconnaissable, que seul connaît son créateur.” Pour lui et les Pères de l’Eglise, dès qu’il y a vie humaine, il y a âme humaine. C’est aujourd’hui la position que défend l’Eglise.
La position des Pères de l’Eglise est confirmée par la génétique moderne
De façon étonnante, la génétique moderne a tranché le débat théologique. Contrairement à ce que pensait Saint Thomas, l’embryon n’est pas une “matière informe” qui s’organise peu à peu. Dès la fécondation, tout est là. L’ADN contient déjà le plan complet de l’édifice, l’identité unique de la personne, la couleur de ses yeux et même les traits du tempérament. La “forme” (au sens philosophique d’organisation interne) est présente dès la première seconde.
Si Saint Thomas avait eu un microscope, il aurait vu cette organisation prodigieuse et aurait probablement conclu, selon ses propres principes, que l’âme devait être présente immédiatement. La génétique moderne semble donner raison à l’intuition des Pères de l’Eglise. L’âme humaine, image du Dieu vivant, est insufflée dès la conception.
Précisons bien une chose : l’Église ne demande pas de “croire” en l’âme pour respecter l’embryon. La biologie suffit à nous montrer qu’il s’agit d’un individu de l’espèce humaine, distinct de ses parents. L’argument de l’âme vient élever cette réalité biologique, lui donner une dimension d’éternité, mais le fondement du respect de la vie reste accessible à la raison de tout homme. L’existence de l’âme relève du domaine de la foi, sur laquelle la science ne peut pas se prononcer de façon directe. Comme l’affirme la Congrégation pour la Doctrine de la Foi :
“Certes, aucune donnée expérimentale ne peut être de soi suffisante pour faire reconnaître une âme spirituelle ; toutefois, les conclusions scientifiques sur l’embryon humain fournissent une indication précieuse pour discerner rationnellement une présence personnelle dès cette première apparition d’une vie humaine : comment un individu humain ne serait-il pas une personne humaine ? Le Magistère ne s’est pas expressément engagé sur une affirmation de nature philosophique, mais il réaffirme d’une manière constante la condamnation morale de tout avortement provoqué. Cet enseignement n’a pas changé et il demeure inchangeable.”
Conclusion :
C’est donc en s’appuyant sur les découvertes de la génétique et de l’embryologie que l’Eglise a pu trancher définitivement cette controverse théologique :
“La théorie de l’animation retardée, soutenue par Aristote puis par saint Thomas, […] dépendait essentiellement des connaissances biologiques limitées qui étaient disponibles au temps où ces auteurs écrivaient. Une application correcte des principes aristotélico-thomistes, tenant compte des connaissances scientifiques actuelles, porterait au contraire à soutenir la théorie de l’animation immédiate et à affirmer en conséquence la pleine humanité de l’être humain nouvellement formé.” (Académie pontificale pour la Vie)
Et l’Académie de conclure : “La théorie de l’animation immédiate, appliquée à chaque être humain qui vient à l’existence, se montre pleinement en accord avec la réalité biologique. […] Cette perspective ne contredit pas les principes fondamentaux de la métaphysique de saint Thomas.”
Il n’y a donc pas de “zone grise” avant 40 jours. Dès la conception, il y a un corps humain organisé et une âme spirituelle. C’est pour cela que la protection de la vie doit être absolue, dès le premier instant.